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Cria Cuervos

Dimanche 14 septembre, de 17h30 à 19h45 dans la salle Jean de Puybaudet, projection du film « Cria Cuervos » de Carlos Saura, suivi d’un débat.

Article mis en ligne le 11 septembre 2014
dernière modification le 5 octobre 2014

Dimanche 14 septembre, de 17h30 à 19h45 dans la salle Jean de Puybaudet, projection du film « Cria Cuervos » de Carlos Saura, suivi d’un débat.

Film de Carlos Saura, Espagne, 1976, avec Ana Torrent, Géraldine Chaplin, Mónica Randall, Florinda Chico, Mirta Miller, Josefina Diaz. Grand Prix du jury au Festival de Cannes 1976, César 1977 et Golden Globe 1978 du meilleur film étranger.

Madrid, fin des années 70. C’est l’été. Ana, dix ans à peine, tourne en rond dans la grande maison où elle vit avec ses deux sœurs, son père, sa grand-mère paralytique et sa tante Pauline. Elle ne se remet pas de la disparition de sa mère et tente d’échapper à l’atmosphère étouffante en se réfugiant dans un monde de rêves. À son tour, le père meurt, dans les bras de sa maîtresse. Ana, qui a tout vu, est persuadée qu’elle est la cause de ce nouveau décès, qu’elle a un « pouvoir » de vie et de mort. Elle s’enferme de plus en plus dans son imaginaire, faisant revivre le souvenir de sa mère...

La mort est omniprésente dans le film. Ana « joue » avec elle : en cherchant à tuer son père, puis sa tante, en proposant à sa grand-mère de l’aider à mourir ou en célébrant les funérailles de son cochon d’Inde, elle l’affronte autant qu’elle tente d’y échapper. Lancinante, une mélodie revient sans cesse, comme pour souligner la mélancolie de la fillette : la chanson Porque te vas (« Parce que tu pars »), interprétée par Jeanette, qui deviendra un tube de l’été 76.

Mais cet univers clos, étouffant, à peine troublé par quelques lointains coups de klaxons, quelques bruits de voiture, c’est aussi celui de l’Espagne franquiste : derrière le drame familial se profile le drame politique. En 1976, lorsque sort le film, le Général Franco est sur le point de mourir. À travers l’histoire d’Ana, le réalisateur Carlos Saura dénonce l’isolement dans lequel quarante années de dictature ont plongé le pays. Il dépeint une société engourdie, paralysée par l’hypocrisie, les conventions, le règne des apparences.

Si la mère d’Ana est morte (d’un cancer... ou de chagrin), c’est parce que son époux l’a contrainte à renoncer à sa carrière de pianiste, lui faisant « un monde trop petit pour l’appétit de ses grands yeux », alors qu’elle était née « pour la folie, pour la lumière, pour des pays peuplés de rois » (version française de la chanson Porque te vas). Ce monde étriqué, c’est le pays qui s’est courbé devant le Caudillo.

Ana, dont les grands yeux noirs semblent voir de l’autre côté du miroir, saura-t-elle échapper à sa fascination pour la mort ? Sa tentative de tuer son père en mélangeant au verre de lait de celui-ci ce qu’elle croit être un poison (en fait, du bicarbonate de soude), n’est-il pas un sursaut de vie dans un environnement délétère ? La société espagnole saura-t-elle se rebeller et trouver en elle des ressources pour s’affranchir du carcan de la dictature ?

Ce film qui parle du deuil et du souvenir est éclairé par les nombreuses scènes qui montrent Ana et ses sœurs se livrant à leurs jeux d’enfants, découpant des magazines, dansant sur la musique de 45 tours, se déguisant en adultes... Et c’est là que se justifie peut-être son titre, tiré d’un proverbe espagnol : Cría cuervos y te sacarán los ojos, c’est à dire : « Élève des corbeaux et ils t’arracheront les yeux ». De même que les corbeaux se retournent contre ceux qui les ont élevés, les enfants de l’Espagne, un jour, se retourneront contre les pro-franquistes, semble dire Carlos Saura. Et la vie gagnera sur la mort.

Voir la bande-annonce du film