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Jésuites à La Réunion
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Le site des jésuites à La Réunion. La communauté de la Résidence du Sacré-Cœur, les activités de la chapelle de la Résidence et du Centre Saint-Ignace.

À la synagogue de Nazareth (2)... Porter la parole de Dieu et finir sur la croix
Article mis en ligne le 6 février 2019

par Père François Noiret sj

Retrouvez ici l’évangile du dimanche 3 février 2018, 4e dimanche du Temps ordinaire (année C) et l’homélie du père François Noiret à la chapelle du Sacré-Cœur.

Lire l’évangile du jour

L’homélie

Si nous voulons comprendre ce qui se passe dans cet invraisemblable passage de l’évangile, dans cet incroyable retournement de situation pendant que Jésus prêche à la synagogue de Nazareth — c’est la suite de l’évangile de dimanche dernier où tout avait très bien commencé, et voilà que ça tourne très mal et frise la catastrophe puisque les habitants de Nazareth veulent précipiter Jésus dans une ravine — si nous voulons comprendre ce passage, il nous faut d’abord comprendre la 1re lecture : https://www.aelf.org/2019-02-03/rom... la vocation du prophète Jérémie. C’est toujours pour éclairer l’évangile que l’Église nous donne la 1re lecture des dimanches et fêtes.

Les grands prophètes en Israël racontent leur vocation et pourquoi ils sont envoyés : Isaïe au chapitre 6, Jérémie au chapitre 1, Ezéchiel aux chapitre 1 et 2.

À Ezéchiel, le Seigneur dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les Israélites, vers les rebelles qui se sont rebellés contre moi… Qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, ils sauront qu’il y a un prophète parmi eux… N’aie pas peur de leurs paroles s’ils te contredisent et te méprisent et si tu es assis sur des scorpions. N’aie pas peur de leurs paroles, ne crains pas leurs regards, car c’est une engeance de rebelles… » (Ezéchiel 2,3-7).

À Isaïe, le Seigneur dit, quand il lui apparaît dans le Temple et purifie ses lèvres : « Va, et tu diras à ce peuple : écoutez, écoutez et ne comprenez pas ; regardez, regardez et ne discernez pas. Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. » (Isaïe 6,9-13).

À Jérémie, c’était notre 1re lecture, le Seigneur dit : « Serre ta ceinture, lève-toi, tu leur diras tout ce que je t’ordonnerai. Voici que je t’établis comme une ville fortifiée, comme une colonne de fer et un rempart de bronze devant toute pays : tous lutteront contre toi, les rois de Juda, ses princes, ses prêtres et le peuple du pays, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer. » (Jérémie 1,17-19). Seul contre tous !

Jérémie sera jeté dans une citerne pleine de boue, puis emmené malgré lui en exil en Egypte. Ezéchiel sera emmené en exil à Babylone et Isaïe sera scié entre deux planches.

Et pourtant, cet Isaïe disait : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a donné l’onction, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle à ses pauvres, annoncer la liberté aux prisonniers, la lumière aux aveugles, la libération aux opprimés, une année de grâce de la part du Seigneur » (61,1-2a), ces paroles mêmes que Jésus a prises pour lui et qu’il a proclamées dimanche dernier dans cette même visite à la synagogue de Nazareth et qui ont provoqué tant d’admiration.

Ezéchiel quant à lui annonçait la reconstruction du Temple dans un pays renouvelé pour un peuple ressuscité des morts, et Jérémie révèlait : « D’un amour éternel, je t’ai aimé ! — Voici mon alliance avec eux : je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Jérémie 31,31)

Jésus dit des paroles pleines de grâce et de vérité, dont nous avons entendu comme un écho dans la seconde lecture : l’hymne à l’amour, de saint Paul. Et pourtant ils veulent le tuer !

Pourquoi Dieu est-il si bon et l’homme si méchant ? alors qu’il est capable d’aimer, cet homme, et qu’aimer est son bonheur, tout le monde le sait, chrétien ou pas. Pourquoi ?

Voilà pourquoi saint Luc a ramassé dans un seul récit l’amour et la haine. En réalité, il y a eu au moins deux visites de Jésus à Nazareth après son baptême. La 1re fois qu’il revient dans son pays après le baptême et qu’il parle à la synagogue, tout le monde était content, heureux d’avoir un prophète qui parle si bien. « Tous lui rendaient témoignage et ils étaient dans l’admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. »

Mais la 2e fois, ça a mal tourné. C’est raconté plus loin dans les autres évangiles, en Matthieu 13,53sq et en Marc 6,1-6 : « Comment cela se fait-il ? C’est pourtant lui, le fils de Joseph le charpentier, et sa mère Marie est là parmi nous, avec ses frères et ses sœurs ! Comment parle-t-il si bien sans avoir étudié et fait-il des miracles en sortant tout juste de son atelier ? » Ils sont choqués, et jaloux. Saint Jean dit : « Même ses frères ne croyaient pas en lui » (Jn,7,5). Et ce jour-là à Nazareth « Jésus ne put pas faire de miracles » et « il s’étonnait de leur manque de foi. » (Marc 6,5-6) Si vous vous rappelez bien, il y a même un moment où la famille et les frères de Jésus viennent le chercher pour l’emmener de force en disant qu’il a perdu la tête, qu’il est devenu fou (Marc 3,21).

C’est la vocation de Jésus, comme de tous les prophètes : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean,1,11) On a lu ce passage le jour de Noël, à son entrée dans le monde ! « Mais à ceux qui l’ont reçu — à nous — il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, eux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, ni du vouloir de l’homme, mais de Dieu », comme Lui, le Christ, ainsi nous les baptisés, re-nés par la foi.

Voilà le paradoxe : Dieu nous parle et sa parole si belle nous met en question ; la parole des prophètes choque, la parole de Jésus heurte, elle cherche à pénétrer en nous, « entre la moelle et les os, » dit saint Paul, « plus incisive qu’un glaive à deux tranchants ». Que de paroles incisives dans la Bible, tel Dieu qui dit à Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » et Jésus : « Tu aimeras ton ennemi », et encore : « Ce ne sont pas ceux qui crient : Seigneur, Seigneur, qui seront sauvés, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux. » Bref, la 2e lecture ! « L’amour endure tout, croit tout, espère tout ! L’amour ne passera jamais. »

À cette Parole du Christ, qui est si belle, que nous comprenons, désirons, espérons, que répondent les hommes, que répondons-nous ? « En croix ! En croix ! Crucifie-le ! » Voilà la réponse de l’homme ! Les migrants ? À la mer ! Les réfugiés ? Dans des camps ! Nos vieillards ? A l’hospice ! Et dans les guerres ? Frappez les innocents, les femmes et les enfants d’abord ! Et voilà que dans les hôpitaux, on veut euthanasier les mourants — c’est déjà légal dans certains pays et ça se fait chez nous sans trop le dire — comme déjà on pique les enfants qu’on ne veut pas voir naître ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. »

Qu’est-ce qui a rendu si furieux les habitants de Nazareth à la synagogue ? C’est que Jésus leur rappelle qu’au temps de la sécheresse et de la famine, Elie a sauvé une veuve étrangère, de la ville de Sarepta au pays de Sidon ; et qu’au temps du prophète Elisée, c’est un lépreux syrien qu’il a purifié, Naaman, et non pas les lépreux juifs. Il leur dit que le salut n’est pas que pour eux, le peuple élu, mais pour tous les hommes. Certes, « le salut vient des Juifs », dira Jésus à la Samaritaine, mais « l’heure est venue où tous les hommes adoreront le Père en esprit et en vérité. » Le Père ! Voilà la parole de grâce et de vérité qui sort de sa bouche, voilà l’Évangile : Dieu est pour tous, il est le Père de tous les hommes, pas seulement de son peuple choisi. Et ils sont furieux : à quoi bon être juif — ce qui est déjà si difficile à vivre — si finalement c’est pour être comme tout le monde ?... Et Israël va tuer Jésus.

Nous aurions fait pareil, et d’ailleurs les Romains étaient là pour ça, Pilate et les soldats compris : ils nous ont très bien représentés.

Voilà la vocation du prophète : porter la Parole de Dieu, pleine de grâce et de vérité, et finir sur la croix.

Ceci est pour nous, sinon ce n’est pas la peine d’être baptisé. Un chrétien, c’est quelqu’un qui est prêt à mourir en croix, comme Jésus, avec Jésus, pour l’amour de Dieu. Pas pour rien, pas pour des bêtises : pour l’amour de Dieu ! Et nous avons des milliers, des millions de martyrs, qui ont aimé Dieu et son Christ plus que leur vie, jusqu’à mourir, qui parfois l’ont désiré même, comme Lucien Botovasoa à Madagascar. C’est notre baptême, notre vocation à chacun, à chacune d’entre nous, à tous. Nous sommes les témoins de la croix du Christ, elle est notre lieu de vie, la Parole paradoxale plantée au cœur du refus, l’arbre de Vie pour tous. La croix est le lieu du chrétien, sinon nous ne servons à rien. C’est notre foi !

Mais le sel de la terre est-il bien encore du sel ? « Quand le Fils de l’homme reviendra, dit Jésus, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » « Si le sel s’affadit, il n’est plus bon qu’à être jeté à terre et foulé aux pieds. Vous êtes le sel de la terre. » Voilà la vocation du chrétien, et voilà pourquoi « ils le poussèrent hors de la ville jusqu’à un escarpement de la colline où Nazareth est construite, pour le précipiter en bas. »

Il n’y a plus seulement Jérémie, Isaïe ou Ezéchiel qui soient prophètes et persécutés, mais tous nous sommes prophètes, porteurs de la Parole dans un monde qui n’en veut pas, tous nous avons été enduits du saint chrême au baptême et à la confirmation pour être un sacerdoce royal et prophétique, comme le Christ, et tous nous avons été baptisés dans sa mort pour renaître avec lui. Nous n’avons plus peur de la mort, ni de la question : « Qu’as-tu fait de ton frère ? », car cette question nous habite, tout homme est mon frère et le chrétien n’a plus d’ennemi, il ne craint même pas la mort. Notre vocation est celle de Jésus qui va au martyre le jour venu ; en attendant ce jour, il annonce la Parole : « Mais passant au milieu d’eux, il allait son chemin. » Et nous aussi ! Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ! Amen.